M@ sixième

Auteure | Estelle Billon-Spagnol |
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Illustratrice | Hortense Mariani |
Editeur | Didier jeunesse – 2024 |
Pour cette première année au collège, j’espère me faire des amis et me sentir bien, et aussi avoir de bonnes notes et pas trop d’heures de colle. Ça, c’est ce que j’aimerais. Mais la vérité, c’est qu’entre maman et papa qui viennent de divorcer et notre emménagement dans cette ville pourrie, j’ai bien peur que ça n’arrive jamais…
Du groupe de copines pas si sympas au harcèlement en ligne, Leony va apprendre à ses dépens que la vie au collège est loin d’être facile, et qu’on a parfois besoin d’aide pour trouver sa place.
Mots-clés : harcèlement, amitié, domination-pouvoir, école-collège, émotions, famille, relation adultes-enfants
Présentation générale
Leony entre en 6ème, ce qui est déjà un grand changement, dans un univers complètement inconnu : Ses parents viennent de se séparer ; elle a dû quitter le village et la maison où elle a grandi pour emménager en appartement avec sa mère dans la « cité » d’une ville voisine. Rien ne s’annonce très facile. La fillette se concentre cependant sur des attentes qu’elle veut positives : se faire des amis, ne pas trop stresser, continuer à avoir de bonnes notes…Mais les choses vont vite se révéler compliquées.Compliquées au collège parce que Leony n’y a aucun repère, parce que ses notes en maths dégringolent, parce qu’être intégrée dans un groupe d’amis déjà constitué n’est pas une chose simple.Compliquées à la maison parce qu’elle doit apprivoiser un nouveau cadre de vie, renoncer dans son quotidien à tout ce qui a nourri son enfance, apprendre à vivre avec des parents séparés qui gèrent eux aussi comme ils le peuvent les nouvelles organisations.
Mais ce qui va peu à peu faire perdre pied à Leony, c’est l’attitude du petit groupe de filles auquel elle rêve de s’intégrer et notamment celle d’Ava, la cheffe, la reine du monde, qui est trop belle, qui met des ronds à la place des points quand elle écrit et qui a du vernis vert pomme sur l’ongle du pouce droit…Pour être acceptée par Ava et ses copines, pour gagner elle aussi le privilège du vernis sur l’ongle du pouce, Leony est prête à tout. Et notamment à mentir. Des petits mensonges au début pour se rendre intéressante, pour cacher ses complexes, pour éviter certaines situations…Et puis un jour, alors qu’Ava et ses amies ont déjà commencé à la harceler de leurs moqueries (Hé, la morue !), elle « sort » cet ultime mensonge, sans savoir pourquoi c’est sorti comme ça : Mon père est mort si tu veux savoir !
C’est efficace. Et gratifiant. Pendant toute la journée, je suis celle avec qui il faut être. Et c’est cool. Mais cela ne va pas durer. Leony s’empêtre dans la culpabilité de cet énorme mensonge. Le jour où il est découvert, le harcèlement s’intensifie, conduit par Ava, se propage dans tout le collège et sur les réseaux sociaux. Leo la mytho perd pied. Elle accumule les mauvaises notes, les heures de colle, les retards, les absences. Elle demande à changer de collège sans expliquer pourquoi, prétexte des maladies pour ne pas aller en classe puis s’installent en elle un mal de ventre permanent, des angoisses terribles sur lesquelles elle refuse de mettre les vrais mots.
Heureusement, contrairement à ce qu’elle pense, Leony n’est pas seule face à sa détresse. Il y a sa mère qui va l’aider à sortir de son silence avec l’appui du collège, qui va lui proposer l’aide du psychologue scolaire. Il y a Manon, Noam, ceux qui ne sont pas dupes du jeu d’Ava et qui sont prêts depuis le début à être les vrais amis de la fillette. Il y a aussi Mme Minotte, la prof de français qui, en intégrant Leony dans le groupe de théâtre qu’elle anime, va lui permettre de dépasser ses peurs, de s’impliquer et de s’exprimer dans un projet collectif de spectacle de fin d’année. Mme Minotte va ainsi lui ouvrir de nouveaux horizons en lui faisant découvrir Peter Pan et puis Les quatre filles du docteur March. Wendy et Jo vont devenir les héroïnes préférées de Leony…
Elle va peu à peu reprendre confiance en elle. Elle va oser s’affirmer face à Ava, lui réclamer des excuses, consolider de vraies amitiés avec notamment Noam et Manon en assumant librement ses choix. Et ainsi trouver sa vraie place dans son collège.
Le livre se termine par la représentation théâtrale de fin d’année : Il y a tout le collège, évidemment, et les parents. Ils ont de la chance, je me dis, ils vont assister au plus chouette spectacle de toute leur vie !
Notre avis
Récit de vie, journal intime d’une pré adolescente le temps d’une année scolaire, M@ sixième est un roman qui nous a séduits par son ton juste, réaliste et la finesse de ses approches, finesse qui n’occulte rien de la complexité des situations et des ressentis.
Les thèmes abordés sont très présents dans la littérature jeunesse actuelle. Ils sont ici tissés entre eux dans la même histoire. Et l’on se prend parfois à rêver que, par exemple, l’entrée au collège puisse être racontée comme quelque chose de simple et de joyeux…Mais ce serait manifestement nier une partie de la réalité. Ce qui va, aux deux-tiers du livre, faire basculer la vie de Leony au collège, c’est la violence du harcèlement. Leony a pour premier objectif en entrant en 6ème de se faire des amis. A n’importe quel prix. Quitte à se laisser manipuler par Ava et sa bande. Elles sont trop belles. Quitte à ne pas défendre Noam qui est harcelé lui aussi et qui lui offre, lui, une amitié sincère. Quitte à ravaler sa honte sociale, elle qui habite maintenant dans une cité d’immeubles et dont la maman fait des ménages dans les bureaux. A mentir de plus en plus souvent pour être jugée intéressante. A n’être au final qu’une suiveuse, mal à l’aise dans ses contradictions. Les cours de récréation n’ont jamais été forcément des paradis et les rivalités parfois violentes entre enfants au sein de l’école ne datent pas d’hier. Mais ce qui est nouveau, ce sont les proportions que cela prend avec les réseaux sociaux. Leony paie cher le prix de son plus gros mensonge, l’annonce de la mort de son père. Leo la mytho, lancé par Ava, devient le refrain de tout le collège et condamne Leony à l’exclusion. Ce que résume fort bien le dessin de la couverture (Hortense Mariano). Une ligne devient infranchissable, Leony est seule contre les autres qui, ensemble, ont le sourire moqueur et le regard malveillant vissé sur leur portable. Le @ du titre, M@ sixième, signale aussi le danger. Le message adressé aux jeunes lecteurs est important et appelle au discernement, à la réflexion et à la prudence.
Pour Leony, à cette difficulté de construire de véritables amitiés quand on arrive au collège, s’ajoute la récente séparation de ses parents et le déménagement. Cela lui arrive à cet âge fragile où l’on est encore à cheval entre l’enfance et l’adolescence. Ce passage est un autre sujet du roman. Quitter le village et la maison où elle a grandi, n’y retourner qu’à temps partiel, perdre ses amis de toujours, laisser la chambre qui contient les souvenirs chaleureux de l’enfance, affronter l’effondrement du couple de ses parents que l’on croyait solide (même si Leony a déjà une grande demi-sœur), c’est forcément compliqué émotionnellement. D’autant plus à cet âge incertain où l’on va basculer dans l’adolescence et tous ses questionnements. Ces ressentis, ces émotions lourdes de contradictions sont écrits avec beaucoup de justesse et de délicatesse. Même le lecteur adulte est « accroché » par ce journal intime tenu par Leony, tant il semble « vrai ».
Leony fait le grand écart entre le sentiment d’être encore petite et les questionnements conflictuels de l’adolescence. J’aime encore les câlins. Parfois. Sa relation à ses parents oscille entre besoin de protection, début de détachement, tendresse, colère et ressentiment. Il va leur falloir trouver un nouvel équilibre familial et ce n’est pas simple non plus pour les deux adultes qui cherchent eux aussi à être les meilleurs parents possibles tout en faisant face à toutes les difficultés. Les adultes peuvent être fragiles, c’est une réalité. La relation conflictuelle entre le père et la mère et leur manière de réagir aux problèmes de leur fille sont là aussi extrêmement bien décrits, sans caricature, sans simplification inutile. Le ton est vraiment juste.
Tout se termine bien pour Leony, et le lecteur est vraiment heureux pour elle parce que c’est une gamine attachante, sincère, et résiliente. Elle analyse très bien la complexité de ses réactions, de ses espoirs, de ses déceptions et de ses erreurs. Et c’est important pour le jeune lecteur que la note finale du roman soit optimiste. Elle est aussi réaliste que l’ensemble du livre. Il n’y a pas de miracle, de héros salvateur. Seulement une fillette qui, grâce à plusieurs personnes de son entourage va pouvoir dénouer sa souffrance, gagner de la confiance en elle, oser dire ce qu’elle pense juste, s’accepter telle qu’elle est, s’imposer quand il le faut et trouver sa place, en être heureuse.
Ces personnes sont ses parents, aussi imparfaits soient-ils comme tous les parents mais attentifs à son mal-être. C’est la maman qui va surtout bousculer les choses, demander des explications, proposer le psychologue…C’est Noam et Manon dont l’amitié est sincère et qui savent alerter Leony quand Ava pousse les choses trop loin. Leony apprend grâce à eux à réagir et à s’imposer.
Il y a aussi Iris, l’amie d’enfance que Leony croyait perdue mais avec qui finalement il est possible de se retrouver. Et Lilou, la grande demi-sœur dont les conseils seront précieux.
Et puis les profs. Pas d’angélisme à leur sujet non plus. Le prof de maths est abominable, moqueur, ironique, il a rangé Leony dans la case des nuls et ne fera aucun effort pour modifier son jugement. La prof d’histoire-géo, on se moque d’elle parce qu’elle a une drôle de voix, et l’on retrouve bien là le regard sans concession des ados. M. Lignon du CDI ouvre les élèves avec générosité à la lecture. Et bien sûr, il y a la plus importante, Mme Minotte, prof de français, responsable de l’atelier théâtre qui, sans obliger Leony à rien, en la laissant prendre ses décisions, va lui offrir une magnifique porte de sortie pour s’affirmer telle qu’elle est, s’appuyer sur ce qu’elle aime faire (le dessin) et découvrir des univers qu’elle ne soupçonnait pas. Mme Minotte, par le biais du jeu théâtral permet à Leony de se libérer de tout ce qui la contraint. Elle lui donne des responsabilités (imaginer des décors, des costumes…) qui la font grandir. Elle lui ouvre également de nouveaux univers littéraires où elle trouve des modèles qui lui correspondent et qui vont lui permettre de sortir de l’enfance avec confiance. : au travers du personnage de Wendy dans Peter Pan et de celui de Jo dans Les quatre filles du docteur March, c’est le théâtre et la lecture qui vont l’aider à être au monde d’une manière pacifiée et plus solide : J’ai évidemment adoré tous les passages avec Jo. C’est comme si elle était devenue ma copine. Je veux dire, une vraie copine (…) En fait, j’ai envie de faire tout comme elle. Jo écrit, elle traverse la ville pour faire publier ses histoires, elle n’a pas peur, elle y va, quoi. J’ai envie de ça, moi aussi : d’avancer. Ah…le beau pouvoir émancipateur de la littérature ! Leony se sent désormais légère comme un papillon.
Gardons en mémoire le petit smiley que Noam dessine sur la main de Leony quand elle est triste : il faut savoir s’attacher aux bonnes personnes…Et accepter l’aide de ceux qui vous veulent du bien !
Voilà donc un excellent roman pour jeunes lectrices et lecteurs entre 9 et 12 ans, édité chez Didier jeunesse dans la collection Mon marque-page+ dont nous avons déjà sélectionné d’autres livres. L’écriture est accessible, vivante, très crédible. C’est un roman qui aborde le sujet de la souffrance vécue par beaucoup de jeunes adolescents.(Notamment à cause de ces terribles phénomènes de société que sont le harcèlement et la violence des réseaux sociaux).Mais qui offre des clés pour s’en sortir, des solutions réalistes, optimistes et chaleureuses.
Sur le sujet du harcèlement, voir dans la même collection et sur notre site le roman Des bleus au cartable de Muriel Zürcher.