Le jardin des créatures

Le jardin des créatures
Auteure

Sheila Héti

Illustratrice

Esmé Shapiro

Editeur

Casterman – 2024

Trois amis vivent heureux dans un jardin. Un jour, Hector tombe malade et meurt subitement. Dans son chagrin, Crème, la plus petite d’entre eux, s’interroge…Pourquoi est-ce que tout ce qui vit doit mourir un jour ? Où va-t-on quand on disparaît ? Quand on est mort est-ce qu’on le sait ? Quelqu’un qui meurt nous manque tellement.

Mots-clés : deuil, émotions

Présentation de l’éditeur

Un album tendre et délicat sur la mort et toutes les questions qu’elle pose. Deux lapins et une chatte vivent heureux dans un magnifique jardin. Une nuit, Hector, le grand lapin meurt. Crème, la petite lapine, s’interroge : – Où est-ce qu’on va, quand on meurt ? – Personne ne sait, lui répond Léopoldine, la chatte, mais tout le monde se pose cette question, et tout le monde y pense. – Quand quelqu’un meurt, il nous manque tellement… – Quand quelqu’un nous manque, ça veut dire qu’on le garde près de nous. Leurs échanges permettent au lecteur de formuler des questions justes sur la mort et d’obtenir des réponses apaisantes, tournées vers la vie, vers ceux qui restent. Toutes les créatures qui meurent sont dans notre cœur et deviennent pour toujours le jardin dans lequel on vit… Ainsi, le monde entier est un jardin de créatures.

Nos commentaires

Il n’est pas aisé de parler de la mort et pourtant ce n’est pas un sujet tabou en littérature jeunesse. Il peut être question de la vieillesse ou de la maladie d’un être cher qui conduira sans nul doute à sa disparition (Edouard et Patoune) (L’étoile du soir), de la difficulté à faire son deuil (Le jardin d’Evan), du problème des rites d’enterrement et des croyances (Quand les escargots vont au ciel), de ce qui suit la mort (La fille en poils de chien). Les textes sur le deuil ou la mort imminente d’un être âgé sont le plus souvent destinés aux lecteurs les plus jeunes. Les enfants de 3 à 6/7 ans ne comprennent pas encore que la mort est irréversible mais ils perçoivent l’affaiblissement lié au vieillissement ou à la maladie et ils connaissent bien le sentiment d’attente lié à une absence prolongée. Les lecteurs plus âgés sont plus aguerris sur la notion de vivant même s’ils restent évidemment sensibles à toutes les émotions liées au deuil et à la disparition. Les histoires peuvent alors s’orienter sur les différentes croyances religieuses, mystiques, morales. Le jardin des créatures est une histoire originale qui sort des schémas habituels de narration. La question des étapes liées à la mort est secondaire. La question des croyances n’intervient pas. Il s’agit juste de se poser des questions générales sur le concept de mort, des questions que tout le monde se pose, sans jugement, sans tabou, et peut-être sans réponses précises.

Les personnages sont trois petits animaux avec des grands yeux qui leur mangent le visage, comme des doudous Kawaii ou TY, ces petites peluches aux yeux surdimensionnés. Ils vivent tranquillement dans un grand jardin, les oreilles dressées, le sourire aux lèvres, l’œil malicieux. Une page suffit à les présenter : « un lapin tout doux », Hector, une « minuscule lapine », Crème, et « une chatte », Léopoldine. Il suffit d’une nouvelle page pour indiquer qu’Hector est tombé malade et est mort. Une petite fille, Emma, porte le petit lapin éteint dans ses bras et le met en terre. Le texte, placé sous un petit monticule de terre, annonce : « Hector est enterré là, désormais ». C’est un état de fait. Le passage de l’état de vivant à l’état de mort et enterré est très rapide.

La vie continue donc et Crème et Léopoldine poursuivent leur chemin « un certain temps » jusqu’à ce qu’un rêve étrange ne déclenche différentes interrogations. Crème imagine Hector, en vie, gigantesque, en train de s’amuser et de se régaler dans l’herbe fraîche. C’est un rêve gai et joyeux. Il pourrait induire un effet de nostalgie ou de tristesse. Bien au contraire. Il lui suggère des questions très ouverte sur la mort qu’elle pose à la chatte :

  •  Où est-ce qu’on va quand on meurt ?
  • Est-ce que mourir et ne plus être à, ça peut être agréable ?
  • Pourquoi faut-il que tout le monde meure ?

Comment répondre à ces questions qui touchent à la philosophie et/ou à la croyance sans imposer un point de vue ?

Les réponses de Léopoldine, une chatte de toute évidence très expérimentée, sont mesurées et judicieuses. Elle n’essaie pas de contourner les questions, elle y répond directement sans apporter de réponses figées. Oui, tout le monde se pose la question de ce qui se passe après la mort mais personne ne sait. Oui, le fait que la vie soit en lien avec la mort et inversement est une question existentielle universelle. Quand aux sensations dans la mort, il est bien difficile de les évoquer à partir du moment où nous n’avons pas de mémoire du temps qui précède notre naissance. La petite lapine continue à se confier à son amie en lui faisant part du manque qu’elle ressent. « Quand quelqu’un nous manque, ça veut dire qu’on le garde près de nous » lui répond la chatte. Cette réponse, rassurante et beaucoup plus intime, apporte de la sérénité à Crème qui peut se laisser aller juste pour une nuit car le lendemain une nouvelle question existentielle la taraude : « quand on est mort, est-ce qu’on le sait ? » Léopoldine répond à nouveau sans affirmer, « sans doute pas ».

Toutes ces réponses sont simples, intelligentes, compréhensibles. Les adultes souvent en difficulté face à des enfants qui s’interrogent sur la mort trouvent ici des éléments de réponses à partager sans a priori. Il n’y a pas de parti pris, il n’y a pas d’idéologie marquée, il s’agit juste de prendre au sérieux les demandes et de trouver les mots justes pour réconforter l’enfant, lui permettre de dépasser ses angoisses. La vie et la mort restent un mystère dont nul ne connaît les secrets. Léopoldine ressent d’ailleurs le besoin de dire à Crème que « mourir n’est pas une punition ». Il ne faudrait pas que le rêve de l’enfant l’amène à éprouver un sentiment de culpabilité.

Créme est apaisée. Elle peut enfin penser à autre chose, à d’autres souvenirs. La petite lapine et son amie, la chatte, dissertent alors sur le bonheur de la vie avec toutes les belles rencontres qu’elle occasionne. « Un être aimé qui meurt ne part pas. » Elles sont d’accord pour penser que leur espace reste habité par celles et ceux qu’elles ont aimés « les êtres aimés deviennent le jardin et on vit en eux. » Cette nouvelle pensée leur permet de sentir la présence d’Hector autour d’elles. Hector est devenu leur jardin tout entier, peut-être même le monde entier. Il n’est pas question de croyance, d’âme, de corps ou d’esprit, d’énergie cosmique. Il est juste question du ressenti intrinsèque de celles et ceux qui restent. L’illustration qui présente Hector, gigantesque, enveloppant de tout son corps Crème et Léopoldine comme un protecteur bienheureux est un bel hommage au souvenir, à la trace qu’il laisse.

Toute l’histoire se passe dans un jardin foisonnant, Des fleurs aux multiples couleurs jonchent la terre. Il y a des marguerites, des renoncules, des bégonias, des dahlias… Des herbes sauvages ondulent au gré des pages. Des champignons au chapeau rouge écarlate complètent le tapis du sol. Quelques papillons virevoltent. L’environnement est beau, coloré. C’est une sorte de jardin d’Eden qui donne envie de se rouler dans l’herbe. Cette ambiance gaie et feutrée est stimulante et apaisante. Elle est propice aux confidences. Le ciel est plus nuancé. Très sombre au début il s’éclaircit au fil du récit, au rythme des explications. Les personnages sont étonnants. Ils peuvent sembler très mignons comme ils peuvent être perçus comme étranges. Les enfants les imagineront certainement comme des peluches douces et soyeuses.

L’autrice et l’illustratrice de l’album sont canadienne et américaine. Elles sont reconnues outre atlantique mais peu éditées en France. Il semble que Le jardin des créatures soit le premier livre jeunesse que publie Sheila Heti. Outre son approche remarquable sur le thème de la mort son écriture, sobre et rythmée, donne un ton poétique apaisant au texte. La lecture s’enchaîne de façon très agréable. Notons le travail de la traductrice Gilberte Bourget qui a, sans aucun doute, trouvé les mots justes en français. Esmé Shapiro est une artiste américaine encore peu connue en France. Il semble que seuls deux albums soient pour l’instant publiés en français. Son univers apparaît très prolifique sur son site. Cela nous donne envie de la connaître davantage.

Un sujet bien difficile à évoquer, la mort. Des questions parfois dérangeantes que tout le monde se pose. Un dialogue ouvert pour mieux comprendre, mieux accepter. Des mots doux. De l’amitié, de la tendresse, beaucoup d’empathie. Cet album touche l’intime et l’universel. C’est un livre qui apporte de la sérénité sans nier l’évidence. Un travail de littérature formidable.