Mischka
Auteurs | Edward van d Vendel – Anoush Elman |
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Illustratrice | Annet Schaap |
Traducteur | Maurice Lomré |
Editeur | Ecole des loisirs – coll Neuf – 2024 |
A présent que sa famille a obtenu une maison, Roya va enfin pouvoir accueillir un animal domestique. Ce sera un lapin nain, très doux, très gentil et très joueur. Bienvenue Mischka !
Roya l’aime tellement qu’il devient vite son confident. Elle voudrait lui raconter le long voyage qui l’a conduite du pays où elle est née, l’Afghanistan, jusqu’en Europe où elle vit aujourd’hui.
Mais Roya ne se rappelle pas grand-chose. Ses trois frères et ses parents pourront-ils l’aider à se souvenir ?
Mots-clés : exil, émotion, solidarité, famille, lien homme animal
Présentation générale
Roya a neuf ans. Sa famille vient d’obtenir le droit de rester vivre aux Pays-Bas après des années d’errance pour fuir l’Afghanistan, leur pays, où la liberté de pensée est devenue interdite. Maintenant qu’ils ont leur maison, leur jardin, il ne manque qu’une seule chose à Roya : un animal domestique à dorloter. Ce sera un lapin nain tout blanc et il s’appellera Mischka, c’est elle qui le décide. Le petit animal va devenir le centre de la vie familiale. Si Roya considère qu’il lui appartient à elle, il ne laisse indifférent ni les trois grands frères de la fillette ni même ses parents. Roya choisit d’en faire le sujet de son exposé dans la nouvelle classe qu’elle vient d’intégrer et ses nouvelles amies rêvent déjà de la voir en vrai, cette petite merveille blanche !
Mais un matin, Mischka n’est plus dans son clapier…Il a disparu et c’est le drame. Roya et ses frères se lancent à sa recherche dans le quartier, collent des affiches partout et finissent par recevoir un appel téléphonique d’une dame qui leur apprend qu’une de ses amies a recueilli chez elle un petit lapin qui pourrait bien être le leur…Cette amie, une vieille dame un peu méfiante, un peu ronchon, il va falloir l’apprivoiser ; elle finit par leur ouvrir sa porte et ils retrouvent enfin leur petit Mischka…
Roya fera son exposé sur les lapins devant sa classe. Un exposé qui la fera enfin pleurer, elle qui n’aime pas pleurer, qui n’avait jamais pleuré auparavant. Ses trois frères seront autour d’elle. Ils vont prendre le relais de l’exposé sur les lapins pour raconter à trois voix le récit de leur vie, de leur fuite, de leur exil, pour parler de leur pays et de Roya qui était encore très petite pendant le voyage mais qui était peut-être finalement la plus courageuse d’eux tous. L’exposé remporte beaucoup de succès. Les enfants de la classe veulent tous venir jouer un jour chez eux.
Roya pense alors saisir les raisons de la fuite de Mischka : Il voulait comprendre ce que c’est d’être en fuite et de ne pas savoir ce qu’on va devenir. Et il voulait comprendre comment c’est de rentrer, enfin, oui enfin, chez soi.
Nos commentaires
Cela aurait pu être la mignonne histoire banale d’une petite fille et de son animal de compagnie. Mais très vite, dès la première page, on comprend qu’il n’en sera rien. Car Roya est afghane, elle a fui son pays avec sa famille quand elle avait trois ans dans des conditions très difficiles dont elle se souvient mal parce qu’elle était trop petite. Six ans d’errance et de clandestinité ont passé. Elle a maintenant neuf anset obtenu le droit de rester vivre aux Pays-Bas avec les siens. Une nouvelle vie commence pour elle, qu’il va falloir construire sur des drames et des traumatismes qui n’ont jamais été beaucoup exprimés, beaucoup racontés.
Cela aurait pu être aussi un récit de vie sur l’exil d’une famille et la problématique adaptation à une nouvelle vie, un thème très présent actuellement en littérature jeunesse.Mais ce qui fait la force, la richesse et la subtilité de ce roman, c’est justement ce maillage entre les deux. Mischka le petit lapin blanc va être le catalyseur de l’amour familial. Il va en plus devenir le médiateur, bien sûr inconscient de son rôle, (Est-ce que vous pensez qu’il comprend ce qu’on lui dit ?), entre une petite fille et son histoire familiale. C’est lui qui va permettre à la parole de se libérer, de se partager, et aux larmes d’enfin couler.
Un article de Télérama nous apprend que l’auteur néerlandais Edward van de Vendel a rencontré Anoush Elman, coauteur, il y a plusieurs années, un jeune Afghan réfugié aux Pays-Bas. Un premier livre destiné aux jeunes adultes, Le garçon qui avait trouvé le bonheur, avait découlé de cette rencontre et raconté l’enfance à Kaboul et la fuite. Ils reprennent là leur plume commune et le personnage de Roya est inspiré de la petite sœur d’Anoush. Ce qui explique le sentiment d’authenticité que l’on ressent en lisant le roman.
Roya est la narratrice. Ce « je » d’une petite fille de neuf ans est extrêmement touchant et sonne très juste. L’exil raconté à hauteur d’enfant touchera forcément les jeunes lecteurs et ils apprendront ainsi la dure réalité des demandeurs d’asile. Au fur et à mesure que la parole familiale se libère et se partage autour du lapin, Roya réussit à mettre des mots et des images sur tout ce qu’elle avait oublié (ou refoulé). L’histoire de ce voyage se reconstruit peu à peu par petits morceaux tout le long du livre. Chaque membre de la famille possède ses propres souvenirs et peu à peu en nourrissent la mémoire de Roya. Les grands frères vont raconter facilement, le père met plus de temps à se joindre au récit mais y parvient, la maman dont la tristesse est silencieuse va réussir, par le chant, par le conte et ses souvenirs de la vie d’avant, à rejoindre les autres dans leur résilience.
Ce que Roya savait c’est que leur famille avait dû quitter l’Afghanistan devenu un pays de privation de liberté. Le père, enseignant dans une école de filles et revendiquant, avec l’appui de sa femme, son droit à la liberté de pensée, risquait sa vie à rester là-bas. Elle se souvient de l’arrivée aux Pays-Bas, les démarches pour obtenir le droit d’asile, les foyers, la clandestinité, la peur d’être expulsés avant d’enfin obtenir le droit de rester et de commencer une nouvelle vie dans un pays en paix.
Ce que ses frères et son père vont lui raconter, c’est ce que, trop petite, elle a oublié : la fuite, le trafic des passeurs, l’attente angoissante, les nuits en forêt…La douleur, la peur, la violence de certaines situations ne sont pas cachées dans le récit familial. Par exemple lorsque le père raconte comment les passeurs lui ont ordonné de brûler toutes ses photos pour ne pas laisser de trace et que tout alors n’a plus été que cendres. Votre mère y pense toujours avec beaucoup de peine, à cause de cette très belle photo de toi, Roya. Celle où tu portes ce manteau et ce pull et où tu as la morve au nez. Mais, et c’est ce qui rend le livre optimiste, chaleureux et rassurant, dans les souvenirs des frères, il y a malgré tout des moments joyeux, de beaux paysages, des anecdotes drôles dont Roya pourra aussi se nourrir : un anniversaire fêté en tambourinant sur des casseroles, un musicien qui leur rappelle une chanson du pays, des soldats armés de balais plutôt que de fusils pour effacer leurs traces…Les souvenirs se croisent, se complètent, évoquent de terribles peurs mais aussi des rires, des solidarités. Et en les partageant avec des mots très simples qui ne cachent en rien la complexité des situations, Roya et sa famille construisent quelque chose de solide qui va leur permettre de continuer à avancer dans leur nouvelle vie. Tourner la page mais ne rien oublier.
Il y a eu l’exil, le voyage et ses dangers, les années sans papier dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile, la clandestinité…Il y a maintenant un début de sécurité, une maison, des roses dans le jardin, du travail pour le frère aîné et une nouvelle école pour les autres. Roya est une petite fille très forte, très courageuse. Elle a su s’adapter à plusieurs écoles. A l’école aux papillons, elle en est à sa cinquième classe et cinquième maîtresse. Ses frères lui donnent des « trucs » pour faire face à d’éventuelles hostilités, elle saura se défendre si besoin, elle ne pleure jamais. Elle s’intègre. Le risque de harcèlement, un possible racisme sont évoqués, à l’école, chez la vieille dame qui a retrouvé le lapin et qui n’ouvre d’abord pas sa porte à des étrangers. Mais il n’y a pas de drame. Là encore, les auteurs mettent l’accent sur le positif, l’intégration, par petites touches. Là encore, Mischka va créer le lien affectif entre les enfants. La maîtresse sait accueillir les larmes de Roya quand elle tente de commencer son exposé sur les lapins et elle sait aussi laisser la place aux trois grands frères qui, solidaires jusqu’au bout, prennent en charge l’exposé et en font une présentation de leur histoire, de leur pays, devant la classe. Le livre se termine sur le grand succès suscité par leur intervention. Sur l’émotion que l’on ressent en comprenant tout l’enjeu des larmes de Roya. Et sur l’espoir d’un nouveau départ que cela promet !
Petite note d’humour qui fait finir le livre en souriant : Mischka a enfin fait pipi dans son lit, immense preuve d’amour pour un lapin. Preuve aussi que Roya est sa préférée !
Edward van de Vendel a été instituteur puis directeur d’une école qu’il a créée. En 1996 il a commencé à écrire, notamment de la poésie. Il s’est tourné vers la littérature jeunesse. Il a obtenu de nombreux prix et est édité en France chez Thierry Magnier, l’Ecole des Loisirs, Pastel et au Rouergue. Si l’on en croit plusieurs titres de sa bibliographie, le thème du lien entre l’enfant et l’animal lui est important : Le choix de Sam, l’histoire d’amitié entre un garçon et son chien qui disparaît ; Petit renard, qui rencontre un petit garçon ; Le chien que Nino n’avait pas.
Annet Schaap, néerlandaise elle aussi, illustre Mischka avec bonheur. Ses dessins pleine page sont chaleureuxet touchants, tous dans une gamme vert/brun/rouge et…petite tache blanche !
En conclusion un très joli roman, souvent bouleversant mais résolument optimiste. On y apprend des choses, sur l’Afghanistan, sur ce que vivent les migrants. Les dialogues sont vivants et crédibles. La dimension symbolique de la fuite de Mischka qui va permettre à Roya de s’interroger sur son propre voyage est un beau choix de narration : J’ai soulevé Mischka à la hauteur de mon visage. Quand j’ai regardé dans ses yeux, je m’y suis vue. C’était comme deux petits miroirs.
Nous le recommandons vivement. Et avec émotion…
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